Interview réalisée par Hugo Checinski et Pascal Montagne
Illustration réalisée par Marie-Blanche Huet
Léa Bonnaud n’a jamais pu quitter son XVIIIème natal. « C’est mon quartier. J’ai mon bar, tous mes potes, les commerçants me connaissent. Quand, dans la rue, je croise des gens dont le visage me dit quelque chose, il y a une chance sur trois pour que ce soit à Môm’artre que je les ai croisés. Cette association fait vraiment partie du quartier. »
À 24 ans, Léa vient d’aménager toute seule dans un joli studio. Elle a recouvert ses murs blancs de dessins et d’illustrations qu’elle a trouvés dans la rue, juste à côté de son école d’architecture. Avant ça, elle est passée par quelques étapes, comme un DUT du génie civil à Amiens ou une licence de géographie. « Je suis resté » six mois puis je me suis mise à bosser dans la restauration. » Dès la primaire, l’école, ça n’était pas son truc. « J’adore les outils. Môm’artre me permettait de faire mes devoirs sans avoir la possibilité de m’énerver contre ma mère puis d’aller utiliser un marteau ou un pisto-colle pendant les ateliers. »
Finalement, Léa ne garde pas de souvenirs très précis de l’association. Simplement une énergie de bienveillance et de partage. Elle se souvient de ce lieu sans cloisons et sans porte close. « Môm’artre, c’est comme à la maison. On sait ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire. On sait à quelle heure on goûte et quand il faut se laver les mains ». Peu de souvenirs, donc, mais une vraie expérience : à son arrivée à l’école d’architecture, quand il a fallu utiliser un pisto-colle pour la première fois, elle a montré à ses camarades de classe toutes les facéties qu’elle avait déjà pu éprouver au cours de ses divers ateliers au sein de l’association. « C’est normal de témoigner ici, je rends simplement la monnaie de la pièce à tout ce que ça m’a apporté ».
D’où te viens cette appétence pour l’architecture ?
Ma mère a toujours été très branchée art et culture. Elle m’a baladée un peu partout, dans les musées, au cinéma… Je pense que Môm’artre m’a aussi aidée au développement vers l’art mais c’est dans la même mouvance que l’éducation que ma mère m’a donnée.
Mon père est décédé quand j’avais six ans et il a laissé une cave remplie d’outils en tout genre. Alors l’architecture, comme Môm’artre, me ramène peut-être à lui. Je voulais être débrouillarde et Môm’artre m’a apporté ça dès son décès.
Môm’artre te re-créait une sorte de cercle social ?
En tout cas, ça m’apportait un cadre, un rituel. Môm’artre était un peu une seconde famille parce qu’après l’école, c’était l’endroit où je passais le plus de temps. J’arrivais, je prenais mon goûter, j’écoutais Fabien, mon animateur préféré jouer du djembé, je faisais mes devoirs, je faisais l’atelier et j’attendais que ma mère arrive.
Plusieurs fois dans ma vie, j’ai ressenti de l’admiration pour des gens qui m’encadraient : des profs, des animateurs… À Môm’artre, c’était la première fois que ça arrivait. A chaque fois que Fabien proposait un atelier, j’étais la première à lever la main. Il pouvait proposer n’importe quoi et je le faisais. Quand il est parti, j’étais dépitée et je ne voulais plus y aller (rires).
Tu as des souvenirs avec Fabien ?
Il m’avait fait un dessin que j’ai toujours gardé. Il est quelque part au milieu de mes autres œuvres d’art et des pots en céramique horribles que j’avais offert à ma mère. Mais ce monsieur, il m’a appris à bricoler, à utiliser les outils sans me blesser. Je ne me souviens même plus de son visage ! C’était lui qui jouait du djembé après le goûter alors je me suis mise à en jouer chez moi.
Tu as senti que Môm’artre a aidé ta mère, d’un point de vue moral ou logistique, à cette période où ça devait être difficile pour elle ?
Ma mère est cheffe de projet au sein d’un grand groupe français. Elle a un bon boulot et une belle carrière. Donc venir nous chercher, que ce soit à 16h30 ou 18h, ce n’était pas possible pour elle. C’est aujourd’hui que je me rends compte que Môm’artre l’a bien aidée.
C’est un peu paradoxal mais c’est grâce à Môm’artre que je pouvais la voir parce que c’était elle qui venait nous chercher. Même si elle arrivait en retard (rires). Mais ça m’a toujours arrangée qu’elle soit en retard : tu es toute seule, tous les autres enfants sont partis, alors tu pouvais vraiment être au centre de l’attention.